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Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/85

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LEUR INSTALLATION À PARIS

savait pas solliciter les intimités de son goût, et le premier venu dans le premier instant s’imposait à lui. Cette disposition naturelle s’accrut dans les longues habitudes d’encanaillement et la promiscuité du collège. Mais il cachait, sous ces apparences faciles, une farouche indépendance et une révolte perpétuelle que trahissaient les jeux d’une physionomie infiniment mobile. Ils entrèrent dans une brasserie de la rue de Médicis, où devaient les rejoindre leurs amis, et Racadot mangea une salade de pommes de terre.

On se demande où mènent les fastidieuses études classiques qu’on, impose à la jeune bourgeoisie : elles mènent au café.

Mobilier malpropre, service bruyant et familier, chaleur de gaz intolérable ! Comment demeurer là, sinon par veulerie ? C’est compromettre son hygiène morale plus fâcheusement qu’en aucun vice, puisqu’on n’y trouve ni passion ni jouissance, mais seulement de mornes habitudes. Voilà pourtant le chenil des jeunes bacheliers qui sortent des internats pour s’adapter à la société moderne… À marcher, le fusil en main, auprès des camarades, dans les hautes herbes, avec du danger tout autour, on nouerait une amitié de frères d’armes. Si cette vie primitive n’existe plus, si l’homme désormais doit ignorer ce que mettent de nuances sur la nature les saisons et les heures diverses du soleil, certains jeunes gens du moins cherchent, dans des entreprises hardies, appropriées à leur époque, mais où ils payent de leur personne, à dépenser leur vigueur ; et ils échangent avec les associés de leurs risques une sorte d’estime… bien différente de celle qu’on prodigue à la respecta-