Page:Barracand - Un monstre, 1887-1888.djvu/13

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maligne dont la visite de cette femme l’enveloppait encore, n’allait-il pas se dissiper ?

Il se leva, il se secoua. En traversant la chambre, il se vit dans la glace et ne se reconnut pas, livide, l’œil égaré et brillant, les orbites creux et embrumés. Il se sentit attiré par cette image et vint s’accouder sur la cheminée.

Comment en s’examinant de près, dans le fond des yeux, en vint-il à évoquer le fantôme de Françoise ? Un délire le hantait ; car tout à coup il se surprit à imiter le regard de la jeune fille, ce redressement de la paupière inférieure qui l’avait toujours tant séduit. Il revit aussi le sourire qu’elle avait levé sur lui, du coin où elle était blottie, lors de la querelle avec sa mère, et dont le trait malicieux lui était allé droit au cœur. Il s’essayait à le reproduire.

Il s’habitua ainsi à l’idée d’un bonheur qui, d’abord monstrueux, ne lui semblait plus que piquant par le sacrifice de Claire. Le rêve irritant, le fatigant cauchemar de ses insomnies de fièvre allait être une réalité !

Il s’écarta de la glace, fit quelques tours dans la chambre pour changer le cours de ses réflexions. Mais la présence récente de Mme  Daveline semblait en avoir imprégné l’air d’un charme pervers qui ne se dissipait pas. L’idée de fuir lui revint encore. Il la repoussa, et un peu par un motif assez bizarre : pour ne pas se montrer, lui, homme, trop inférieur à cette femme de tête !

Alors, pour se calmer, peut-être pour s’étourdir, il résolut de revoir Françoise tout de suite. Et il partit pour les Cabines.

Il la trouva seule au salon. Claire était rentrée et ressortie presque aussitôt.

Il vit la jeune fille s’avancer vers lui, les yeux rayonnants de bonheur, un sourire céleste sur les lèvres. Elle lui prit la main avec une vivacité et une tendresse émues, et la serra fortement.

— Est-ce que votre mère vous a dit quelque chose ?

— Oui… Que vous avez demandé ma main… Et je suis heureuse… heureuse !…

Et, en même temps, son cœur se fondit. Deux larmes, qu’elle n’essaya pas de cacher, jaillirent à travers sa joie, pendant qu’elle regardait Raymond avec extase.

— Vous pleurez !

— C’est de bonheur, de surprise… Je m’attendais si peu…

Elle dit à voix plus basse, en courbant la tête :

— Je vous aime tant, depuis si longtemps…

Elle fléchissait sur le bras du jeune homme, le cœur trop plein. Il dut faire un pas pour la retenir. Et elle vint s’échouer sur sa poitrine, la tête appuyée sur son épaule, où elle s’oublia à laisser couler ses larmes.

Il mit, en frémissant, un baiser sur son front. Elle ne se