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LE SYMBOLISME

lui a paru que la plupart « étaient de bons jeunes gens, d’autant de candeur que de prétention, assez ignorants et qui n’avaient point assez d’esprit pour machiner la farce énorme dont on les accuse et pour écrire par jeu la prose et les vers qu’ils écrivent ». Leur cas s’explique comme une affection pathologique, due à leur ignorance, à leur vie de noctambules, à l’abus des veilles et des boissons excitantes, à leurs désirs d’être singuliers, à la névrose qu’ils ont ou qu’ils veulent avoir. Sur le deuxième point, le critique a des doutes plus sérieux que sur le premier. Il a déjà noté dans les lettres françaises des maladies littéraires plus ou moins diverses : la préciosité, les excès du romantisme, du parnasse, du naturalisme. Mais il y a encore beaucoup de santé dans ces maladies. Or, c’est la première fois que des écrivains semblent ignorer le sens traditionnel des mots et le génie même de la langue française. C’est la première fois qu’il voit composer des grimoires inintelligibles non seulement à la foule, mais encore aux lettrés les plus perspicaces. Il accorderait donc quelque attention à ces logogriphes, à une condition : c’est qu’on pût lui prouver que ces jeunes gens sont capables d’écrire proprement une page dans la langue de tout le monde. En fin de compte, il préfère ne pas parler d’eux, parce qu’après avoir lu leurs vers, il n’y a vu qu’un rébus fallacieux, une charade dont le mot n’existerait pas. Leur doctrine examinée, on s’aperçoit qu’ils ont fait deux belles découvertes et bien inattendues, car il n’y a guère plus de six mille ans qu’on les connaissait : ils ont découtvert la métaphore et l’harmonie imitative. Ils sont des disciples plus ou moins habiles de Baudelaire, ou bien ils tentent une poésie de solitaire, de névropathe, une poésie qui se jouerait sur les confins de la raison et de la folie. A ces derniers appartient Verlaine. Jules Lemaître en étudie le cas avec un étrange parti pris d’antipathie et de sympathie.