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LE SYMBOLISME

féré la nuit harmonieuse ; le printemps avec ses poussées de sève et ses éclosions de force lui a paru moins attendrissant que l’arrière-saison aux énergies finissantes. Les accents bruyants de la vie et de la santé n’ont à ses yeux pas valu la suavité religieuse du silence ; l’épanouissement des êtres et des choses ont moins séduit sa Muse que le charme attristant des agonies. Précieux, Samain a vu la vie à travers les tableaux des maîtres du maniérisme, Watteau [1], Boucher [2], Gustave Moreau [3]. Poitrinaire, il n’a perçu le monde extérieur que derrière les voiles et les tons grisaille de sa mélancolie. Ainsi les affinités subtiles qui relient les choses et l’âme, il ne les a exprimées que réfléchies en lui par un miroir de mièvrerie ou de nostalgie.

Son vers s’accorde avec la ténuité de ces correspondances. Il est sans heurt, sans rudesse, exquisement flou, merveilleusement imprécis. Il en a lui-même défini le type dans ce morceau d’Au Jardin de l’infante que les critiques ont accoutumé de regarder comme l’art poétique de Samain :

Je rêve de vers doux et d’intimes ramages,
De vers à frôler l’âme ainsi que des plumages,
Des vers blonds où le sens fluide se délie,
Comme sous l’eau la chevelure d’Ophélie,
Des vers silencieux et sans rythme et sans trame
Où la rime sans bruit glisse comme une rame,
Des vers d’une ancienne étoffe exténuée,
Impalpable comme le son et la nuée,
Des vers de soir d’automne ensorcelant les heures
Au rite féminin des syllabes mineures,
Des vers de soir d’amour énervés de verveine
Où l’âme sente exquise une caresse à peine,
Et qui, au long des nerfs, baignés d’odeurs câlines,
Meurent à l’infini en pâmoisons félines
Comme un parfum dissous parmi des tiédeurs closes
Violes d’or et Pianissim’amorose…
Je rêve de vers doux mourant comme des roses.

  1. L’Indifférent, l’Invitation au voyage, Nocturne.
  2. L’Agréable leçon.
  3. Heures d’été, Hélène.