certitude d’une fin prématurée, Rodenbach a l’âme emplie
de visions crépusculaires. Il dénombre ses rêves ; il traduit
la subtilité délicate et la grâce alanguie de leurs méandres.
Il les compare aux anémones de mer, à ces actinies, sensitives
de l’eau, dont la floraison exige le silence et la solitude.
Or nous avons aussi dans nous des actinies,
Rêves craintifs qui se déplient parfois un peu,
Jardin embryonnaire et comme sous-marin,
Fleurs rares n’émergeant que dans la solitude,
Bijoux dont le silence entr’ouvre seul l’écrin.
Mais combien brefs ces beaux instants de plénitude
Qui sont le prix du calme et du renoncement !
Car revoici toujours les nageoires bannies
D’un rêve trop profane au louche glissement
Qui crispe l’eau de l’âme et clot les actinies[1].
Le malade est un être enviable. Il a seul le privilège de
voir s’épanouir toute la flore de cet aquarium mental. La
maladie doucement isolante vaut à l’homme « ce lent repos
d’un bateau qui songe au fil d’une eau ». On se semble, dit
Rodenbach, de l’autre côté de la vie ; les amis se font rares,
on est presque seul, on se possède, on se réalise soi-même.
Le mensonge de la vie se fane dans le miroir intérieur
Où l’on retrouve enfin son visage meilleur,
Celui de pure essence et d’identité vraie.
La maladie est un état sublimé qui « sur nous-mêmes nous renseigne ». Elle grandit l’être ; elle le spiritualise « et les malades sont des hommes déjà morts en qui le dieu commence [2] ».
Quand le poète s’arrache à cette contemplation intérieure, c’est pour chercher, dans le monde objectif, le reflet de ses tristes méditations. Il s’attendrit à regarder le douloureux