qu’il faut savoir surexciter et dans lesquelles la dignité commande d’espérer. La société peut manquer de croyances fermes ; elle gardera toujours le sens obscur du divin. Les erreurs de la raison, ses incertitudes, ses doutes, sont autant de motifs pour trouver dans l’amour de l’humanité l’unique source d’énergie et de persévérance.
La sympathie pour l’humanité, charité chez Tourguenief,
pitié chez Dotowiesky, véritable religion chez Tolstoï, est
donc le trait commun des réalistes russes. Il y en a d’autres.
A côté du réel qu’ils étudient avec une précision assez souvent
fatigante, ils n’oublient pas de reconnaître que l’intelligence
et la sensibilité humaines ne saisissent pas tout le
mystère de la vie. Ils daignent en conséquence méditer sur
l’invisible. Ainsi, par la perfection de leur réalisme, à la fois
clair et obscur, superficiel et intime, ils expriment la double
réalité de la vie : celle qu’on voit et celle qui se dérobe aux
regards. Par là, ils atteignent à la compréhension totale de
l’homme. Il semble d’ailleurs qu’il y ait pour tous un régulateur
de la pensée ou de l’intuition : c’est l’Évangile, où tous
plus ou moins viennent réconforter leur esprit. Sans doute
chacun d’eux l’interprète à sa façon, mais n’est-ce pas de
leur part, tout en cherchant les bases d’une religion plus
conforme au progrès, une façon de démontrer que l’art ne
va jamais sans une certaine religiosité
[1].
7. En adoptant le principe directeur de l’esthétique anglaise ou du réalisme russe, le public français signait une protestation de l’intelligence contre le naturalisme. Les idées n’atteignent le cœur qu’après avoir touché l’esprit : elles sont forcément l’apanage d’une élite. Pour galvaniser l’effort de la masse contre la citadelle naturaliste, pour animer cette vague populaire qui déferle avec succès contre les rocs les
- ↑ Cf. sur les romanciers russes : Vogué, le Roman russe. Paris, 1886, in-8. — E. Dupuy, les Grands maîtres de la littérature russe au sixe siècle. Paris, 1885, in-12. — G. Dumas, Tolstoï et la philosophie de l’amour. Paris, 1893, in-8.