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LE SYMBOLISME


Voici encore une hallucination étrangement poétique :

Tout à coup la nuit vint, et la lune apparut
Sanglante, et dans les cieux de deuil enveloppée,
Je regardai rouler cette tête coupée.


Comme Lamartine, Victor Hugo connaît les secrets de cette composition impalpable où l’intensité d’une image progressivement agrandie constitue le lien unique d’un poème et dans l’accumulation des vers imprécis laisse apercevoir le symbole. À celle qui est voilée [1], Stella, Choses du soir [2] et surtout cet inimitable poème de Booz endormi [3] démontrent avec quelle maîtrise Victor Hugo était capable d’exprimer l’insaisissable et l’invisible. Lorsque la pensée et l’image ne suffisent plus à l’expression de cet inexprimable, le poète recourt à la musique des mots et il aboutit à des poèmes d’un sens absolument vague qui se dérobent à l’analyse, mais qui agissent sur le lecteur à la manière d’une symphonie lointaine. Son Un peu de musique d’Eviradnus est le modèle du genre. Le cœur comprend à défaut de la raison. Aucune des ressources de la sonorité verbale n’est inconnue à Victor Hugo. Mais nulle part il n’en a usé aussi longuement et avec autant de bonheur. À Vigny Victor Hugo emprunte l’art de penser par image unique et d’organiser sa vision. Ici toute la force vive de l’image est mise en œuvre et le poème devient par la continuité progressive du développement, non plus une construction mais une véritable organisation. Pleine Mer et Plein Ciel dans la première Légende sont les chefs-d’œuvre de cette technique. Le symbole s’y révèle comme un agent merveilleux de poésie claire et suggestive. Vigny a de plus indiqué à Victor Hugo la puissance poétique des légendes. Le chef de l’école romantique les emploie toutes, mythologiques ou chrétiennes, à la résurrection de l’humanité dis-

  1. Contemplations, II.
  2. Art d’être grand-père.
  3. La Légende des siècles.