Page:Barrière - Murger - La Vie de bohème, 1849.djvu/22

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Rodolphe.

La Bohême ?

Marcel.

La Bohême, bornée au Nord par l’espérance, le travail et la gaieté ; au sud, par la nécessité et le courage ; à l’ouest et à l’est, par la calomnie et l’Hôtel-Dieu…

Rodolphe.

Je vous remercie beaucoup ; mais je comprends peu.

Marcel.

Vous désirez une seconde leçon de géographie relativement à la Bohême ?… C’est très-facile, monsieur, car vous voyez devant vous deux naturels de ce pays…

Schaunard

La Bohême, c’est nous…

Rodolphe.

Vous ?

Marcel.

C’est-à-dire tous ceux qui, poussés par une vocation obstinée, entrent dans l’art sans autres moyens d’existence que l’art lui-même ; l’esprit toujours tenu en éveil par leur ambition, qui bat la charge devant eux, et les pousse à l’assaut de l’avenir… Leur existence de chaque jour est une œuvre de génie, un problème quotidien… Mais qu’il leur tombe un peu de fortune entre les mains, on les voit aussitôt calvacader sur les plus ruineuses fantaisies, aimant les plus jeunes et les plus belles, buvant des meilleurs et des plus vieux, et ne trouvant jamais assez de fenêtres par où jeter leur argent…

Schaunard

Puis, quand leur dernier écu est mort est enterré, ils recommencent à dîner à la table d’hôte du hasard, où leur couvert est toujours mis, et à chasser du matin au soir cet animal féroce qu’on appelle la pièce de cent