Page:Barrot - Mémoires posthumes, tome 1.djvu/12

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fiance, il n’en usait que pour le modérer dans ses aspirations, le refréner dans ses écarts, le retenir dans les voies salutaires de la légalité. Il réunissait deux qualités trop souvent séparées : l’honnêteté et l’habileté. Il ne dédaignait point les ressources de la tactique parlementaire et, au besoin, il savait en user, mais en les subordonnant toujours à des intérêts d’un ordre plus élevé. Il avait d’ailleurs une qualité bien rare chez les chefs de parti, celle de ne compter pour rien son amour-propre et d’être toujours prêt à prendre la parole quand il croyait être utile : « Nous avons besoin que vous parliez, » lui disaient ses amis, et, préparé ou non préparé, il parlait sans se demander s’il parlerait bien ou mal. C’était un devoir qu’il accomplissait, et, pour lui, le devoir passait avant toute autre considération.

L’éloquence de M. Barrot avait son caractère propre. Ce n’était point un de ces torrents qui se précipitent en renversant tout sur leur passage ; c’était un de ces fleuves qui s’avancent majestueusement et dont les débordements fertilisent au lieu de ravager. Sa pensée se développait d’abord un peu lentement et quelquefois avec trop de solennité ; mais une fois au cœur de son sujet, il saisissait l’esprit de ses auditeurs par une discussion solide, savante, animée, surtout lorsqu’il rencontrait dans le débat une de ces questions de moralité politique qui avaient plus que toute autre le privilége de l’émouvoir. Son indignation alors éclatait non-seulement dans son langage, mais dans sa voix, dans son geste, dans l’expression de