Page:Barrot - Mémoires posthumes, tome 1.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la pratique loyale du gouvernement parlementaire, et qu’il se tenait prêt, malgré l’affront sanglant qu’il avait reçu, à tenter de nouveau l’entreprise ?

Rien qu’à voir cette robuste carrure et ce visage, dont les traits, rudement taillés, s’illuminaient par un bon et franc sourire, on pouvait reconnaître une nature forte et douce tout à la fois, également faite pour la vie publique et pour la vie de famille. Aux qualités qui sont l’honneur de la vie publique, il joignait, en effet, celles qui font le charme de la vie privée : une générosité de sentiments qui avait survécu à toutes les épreuves, un complet désintéressement, une bonté inaltérable. Il avait le tempérament oratoire, et quelquefois, dans ses conversations les plus intimes, il paraissait se croire encore à la tribune. Mais, en revanche, que de bonhomie, que de bienveillance pour ses interlocuteurs les plus humbles ! quelle attention à ne rien dire qui pût les blesser ! Il fallait le voir dans sa maison paternelle de la Lozère, au milieu de ses rochers, comme il disait, causant familièrement avec les curés de son voisinage, donnant aux paysans et à leurs enfants les plus sages conseils ; puis, reprenant avec ses amis de graves entretiens sur les maux de la France et sur le moyen d’y remédier. C’est un souvenir que ne perdront jamais ceux qui ont eu le bonheur de recevoir son hospitalité. Il aimait, d’ailleurs, la campagne pour elle-même, et les amis qui allaient le voir à Bougival le trouvaient souvent maniant la pelle et la pioche, et cultivant son jardin. À Mortefontaine, où il passait plusieurs semaines chaque