Page:Barrot - Mémoires posthumes, tome 1.djvu/38

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C’est à elle que je les adresse. Je tâcherai de les rendre dignes d’elle, au moins par leur sincérité.

Je suis né le 19 juillet 1791, à l’aurore même de cette Révolution qui devait bouleverser le monde, et qui, après bientôt un siècle, est encore loin d’avoir dit son dernier mot. Mes ancêtres vivaient paisibles et relativement heureux dans leur petit village de Planchamp, situé au pied de la Lozère, au confluent de trois rivières torrentielles, qui se jettent dans l’Ardèche, et j’ai retrouvé dans mes papiers de famille un vieux titre signé Barrotus notarius, en date de 1337. Mon père, qui avait pris son grade d’avocat au parlement de Toulouse, se préparait, comme aîné de la famille, à continuer la profession de ses pères, quand le vent de la révolution vint s’abattre sur son rocher. Déjà les prétentions du clergé, dans le domaine temporel, avaient amené quelque agitation. Dans un procès que mon grand-père avait soutenu contre l’abbé de Ceyran, grand-vicaire de l’évêque de Mende, mon père avait montré beaucoup de fermeté et de talent, ce qui lui avait valu une certaine popularité. Désigné pour rédiger les cahiers du bailliage, puis nommé juge au tribunal du district de Langogne, il fut enfin élu député à la Convention, et il se rendit à Paris, où je fus expédié par mon grand-père maternel M. Borelli, quand j’avais à peine trois ans.

Le plus vieux souvenir de mon enfance se rattache à la célèbre journée de vendémiaire an IV. La Convention, qui se vantait d’être plus politique que la Constituante et de ne pas l’imiter, surtout dans ses scrupules, bien loin de décider, comme cette assemblée, qu’aucun de ses membres ne pourrait être réélu, s’était tout simplement élue elle-même, et avait décrété qu’elle composerait en partie les conseils législatifs que la nouvelle constitution de l’an III avait institués. Par cette espèce de coup d’État, la Conven-