Page:Barrot - Mémoires posthumes, tome 2.djvu/15

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nité et de concentration du pouvoir, de mépris pour les droits individuels, et qu’elles ont toutes péri par l’excès du principe dont elles étaient sorties. Phénomène qui seul peut expliquer ces cataclysmes successifs et si rapprochés dans lesquels notre génération a vu trois gouvernements s’écrouler tout entiers et en un seul jour, sans qu’il en restât autre chose que des débris, des souvenirs et de stériles regrets.

Ce n’est ni la révolution de 1789, ni l’empire qui ont amené cette centralisation ; il faudrait remonter bien haut, pour suivre à travers les siècles l’effort persévérant de tous les gouvernements employé à détruire une à une toutes les agglomérations de force et de résistance même les plus naturelles et les plus légitimes, et cela pour arriver à ne laisser debout et vivantes dans la société que deux unités, l’État tout-puissant d’une part, et l’individu isolé et impuissant de l’autre. Or, cette constitution de notre société. que, par la plus étrange méprise, les libéraux, comme les conservateurs, les républicains comme les anarchistes, se sont accordés à admirer et à glorifier, est essentiellement vicieuse et pleine de dangers ; elle est en contradiction avec toutes les lois d’ordre et de stabilité qui régissent les sociétés humaines. Dans le monde moral, comme dans le monde physique, l’ordre et la stabilité ne peuvent naître que d’un certain équilibre entre des forces contraires ; rien de plus opposé à la sagesse providentielle que cette manie d’uniformité et de simplification, qui, supprimant tous les rouages secondaires et modérateurs de la machine sociale, n’y laisse subsister que deux forces, lesquelles, selon que l’une ou l’autre vient à l’emporter, font passer la société successivement de l’anarchie au despotisme et vice versâ, jusqu’à épuisement.

Qu’on nous permette d’emprunter à notre histoire moderne quelques exemples qui sont la confirmation