Page:Barrot - Mémoires posthumes, tome 1.djvu/46

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Enfin, mon père, désespérant de surmonter mon découragement, me demanda un jour sérieusement quelle autre carrière, à défaut de celle du barreau, je voudrais embrasser ? « Celle de l’administration, » lui répondis-je. Quelques-uns de mes jeunes camarades du lycée Napoléon, Pastoret, Bréville, Germain et d’autres y étaient déjà entrés, touchaient des traitements, se suffisaient à eux-mêmes et me faisaient naturellement envie. « Hé bien, soit ! me répondit mon bon père, j’avais rêvé pour toi un autre avenir ; mais tu me parais si malheureux que je ferai ce que tu désires. »

Il connaissait le directeur du personnel du ministère de l’intérieur, M. Benoît, et à quelques jours de cet entretien, il recevait une lettre du ministre lui annonçant que j’étais sous-préfet dans le département de la Haute-Loire ; et me voilà ravi. Déjà, je me vois en uniforme et l’épée au côté ; mais mon pauvre père à son tour était triste et ne se pressait pas de répondre au ministre lorsque, par le plus étrange des hasards, il rencontra dans la rue un de ses vieux collègues de la Convention qui, après être sorti de la politique, s’était créé, par sa connaissance approfondie du droit romain, par la sûreté de son jugement et par une probité à toute épreuve, une éminente position parmi les avocats au conseil d’État et à la Cour de cassation ; c’était M. Mailhe, le célèbre rapporteur dans l’affaire de Louis XVI.

Il y avait longtemps que ces deux vieux collègues ne s’étaient vus ; ils s’interrogèrent sur leur famille. « On m’a dit que tu avais un fils reçu avocat et qui annonce des dispositions ; que comptes-tu en faire ? — Mon plus vif désir c’était qu’il suivît la carrière du barreau pour laquelle je lui crois quelque aptitude ; mais il trouve que les fruits de cet arbre sont trop lents à mûrir ; il perd patience, il me désole par son