Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est fait, ajouta-t elle gaiement. Ce bossu est la première personne que nous avons rencontrée après l’achat de notre billet, cela va nous porter chance… Heureusement que ce n’était pas une bossue.

— Est-ce que ce n’est pas aussi chanceux ?

— Décidément non. La rencontre d’une bossue est malchanceuse aux personnes de son sexe comme elle est heureuse aux autres. Et vice-versa. Tu comprends ? Mais dans le cas où une de ces disgraciées de la nature nous croisera sur la route, n’oublie pas aussitôt de cracher par terre du côté opposé à celui où elle aura passé.

— Fasse le ciel, dis-je pieusement, que nous ne rencontrions personne qui nous mette dans cette pénible obligation.

Le reste de notre chemin s’acheva sans encombre À la maison, on tira au sort pour savoir laquelle de nous devait garder le précieux billet. Je tombai sur la plus haute lettre, mais comme mon amie faisait déjà la moue, je proposai que chacune de nous le garderait sa quinzaine. Sur ce, nous nous séparâmes en belle humeur.

Non, je n’entreprendrai pas de raconter tous les châteaux en Espagne, toutes les espérances, tous les grands projets, tous les beaux rêves dorés que nous a donnés la possession de ce petit bout de papier.

D’abord, nos prétentions étaient assez modestes. On s’était facilement contenté de désirer cinquante dollars. Vingt-cinq dollars chacune, c’était déjà quelque chose Mais, bientôt, nous enhardissant, nous sommes montées jusqu’à cent, cinq cents et mille. Il fallait bien s’arrêter là, puisque ce chiffre était le nec plus ultra de la limite prescrite.

À force d’en parler, nous en étions venues à considérer le lot gagnant comme notre propriété personnelle, et le 14 mars, jour du tirage, n’était que l’époque de l’échéance où nous devions entrer en possession de notre bien.