Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/155

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soin d’expansion, il me tendit la lettre pour que j’en prisse connaissance à mon tour.

Elle était datée du 24 juin et partait de Milan :

« Je ne puis laisser passer ce jour, disait-elle, sans vous envoyer, malgré la distance, le temps et tout ce qui nous sépare, mon souvenir qui vous dira mieux que moi-même que je ne vous ai jamais oublié.

« Dans mes voyages, au milieu de mes succès artistiques, comme à mes heures de déboires, j’ai bien souvent pensé à vous et à la chère soirée que nous avons passée ensemble à bord de ce grand et vilain navire.

« Il y a aujourd’hui dix ans que nous nous sommes rencontrés : c’était le 24 juin 1884. Dix années ! que d’événements depuis ce temps ! que d’expéditions faites en tous lieux et que d’heures heureuses et plus souvent malheureuses ont depuis sonné pour moi au cadran des âges !

« Je me vois encore avec mes dix-sept ans, toute seule, sur cet affreux vaisseau et comme vous avez été bon pour moi, comme la soirée était belle ! et comme j’aurais voulu qu’elle durât toujours… »

L’auteur de cette touchante missive eût pu signer : Graziella, tant il y avait, à l’instar de la fille de pêcheur de Procida, de grâce charmante, de pureté naïve dans les sentiments affectueux et reconnaissants de la jeune Italienne.

Son style caractéristique empruntait sans doute, son charme pénétrant à la douceur et à la limpidité de son ciel.

Sans la connaître, on se sentait attiré vers elle dont tout l’horizon se bornait à un soir traversé par un fugitif rêve d’amour…

Je remis la lettre à son destinataire, et lui, rappelé, brusquement à cette veillée de juin sous les tropiques, me raconta cette idylle d’une heure qui devait jeter sa traînée lumineuse sur leurs deux vies.

— Je revenais de la Nouvelle Orléans, à bord d’un na-