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Page:Barthe - Drames de la vie réelle, 1896.djvu/52

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DE LA VIE RÉELLE.

Le quatrième jour de l’élection, maître James, qui était un tory de la plus belle eau, bien que catholique, détestant profondément les Canadiens-français qu’il exploitait si bien, prenait une part très active en faveur de Pickel et le bon rhum aidant, avait, ce jour-là, la langue fort déliée, un peu trop pour son bonheur, si bien qu’un jeune Canadien-français, Baptiste L…… entendant ses insultes répétées ne put résister, la moutarde lui montant au nez et il provoqua le fameux boxeur. Vite le rond se forma : Fair play ! fair play ! cria-t-on de toute part.

Le jeune homme met habit bas, précaution que dédaigna de prendre le vieux Jimmy, et la bataille commença.

Le premier coup de poing fut donné en pleine poitrine par Jimmy, un véritable coup de pied de cheval, criait-on, si bien que le vigoureux et brave jeune homme fut rejeté à trois ou quatre pas en arrière, mais il ne tomba pas, pourtant…

Le rond s’élargit à la demande du jeune Baptiste et la bataille recommença. Jimmy ne put atteindre derechef le jeune homme, celui-ci lui ayant appliqué une couple de taloches en plein entre les deux yeux, endommageant notablement le nez de Jimmy d’où le sang s’échappait en abondance. Le jeune Baptiste continuait ses applications tout en évitant habilement les coups de son adversaire ; il tournait autour de Jimmy, sans que celui-ci pût l’atteindre. Jimmy lutta cependant, car il était brave et, du reste, il y allait de son honneur ; sa réputation de boxeur était en jeu, mais après, vingt minutes de résistance, il fallut bien que le malheureux Jimmy se déclarât vaincu et il partit honteux comme un renard qu’une poule aurait pris, mais ni le vainqueur, ni les autres Canadiens-français qu’il y avait là n’abusèrent de la victoire, même en paroles. La leçon fut bonne, car ce fut la dernière partie de boxe de Jimmy à l’extérieur et à l’intérieur de son magasin. Tout le monde s’en trouva mieux, Jimmy compris.

Va sans dire que la réputation de Baptiste L… le vainqueur de Jimmy K… se répandit au loin et survécut au vaillant jeune homme qui, du reste, était, à part la bravoure, la franchise et l’honnêteté personnifiées.

Plus tard, il épousa une belle et excellente femme, vécut heureux s’étant acquis des rentes et mourut sans enfants, respecté de tous. Jimmy mourut vieux garçon, laissant à un neveu un héritage opulent que celui-ci dissipa en peu de temps… Farine du diable… disaient les médisants…

Ce que nous venons de raconter se passait à la fin du cinquième jour de la votation ; on ne manqua pas de voter durant l’heure précédant la fermeture du poll en sorte que la votation continua le lendemain, jour néfaste de cette élection qui se termina, ainsi que nous allons le voir, par le meurtre d’un patriote, Louis Marcoux.

La bataille de la veille et la défaite de Jimmy, avaient, on le pense bien, fouetté le sang des Anglais et des Irlandais, lesquels sont, en ces occurences, toujours unis contre les Canadiens-français ; bien que les Irlandais soient leurs coréligionnaires, ces derniers s’allient toujours et de préférence aux Anglais protestants et même aux Irlandais protestants, orangistes ou non, contre un Canadien-français, tant il est vrai que la parité u langage renferme de secrètes attaches et de puissance !

La votation reprit le lendemain et se continua lentement et paisiblement jusqu’aux douze coups de l’angelus de midi.

Un groupe s’était réuni non loin du presbytère et on discutait vive-