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DE LA VIE RÉELLE.

serviteurs s’étaient endormis et reposaient comme on le fait dans nos campagnes, c’est-à-dire qu’à moins d’agir comme si on voulait démolir partie de l’établissement on ne parviendrait pas à éveiller les heureux dormeurs.

Lorsque le corps de l’infortuné mari de Julie fut trouvé, ainsi que nous venons de l’apprendre, il se faisait tard dans la journée, c’est-à-dire que, n’entendant en ne voyant rien, les deux serviteurs furent inquiets étant passé onze heures…… Ils eurent donc recours au gros marteau cloué à la porte principale, frappant discrètement d’abord, un peu plus fort beaucoup plus fort…… mais le silence seul répondant, ils s’alarmèrent et coururent au presbytère peu distant, pour conférer avec M. le curé. Ce dernier vint à la rescousse et ses tentatives restèrent également infructueuses, On résolut le forcer la porte, mais machinalement le curé fit tourner la poignée et la grande porte s’ouvrit d’elle-même n’étant pas barrée à l’intérieur.

L’étonnement fut considérable, mais quels ne furent pas la stupeur, l’horreur et l’effroi du curé et des deux serviteurs lorsqu’ils virent, au pied du grand escalier de la maison, le mari de Julie étendu horizontalement sur le plancher, tout habillé, un pistolet près de sa main droite et baigné dans une mare de sang.

— Vite ! vite ! dit le curé allez quérir le médecin ; et le ministre de Dieu se préparait à donner l’absolution in extremis lorsqu’il constata que le mari de Julie n’était plus qu’un cadavre…… Depuis plusieurs heures, l’âme avait dû s’en échapper…… L’excellent homme, resté seul, versa d’abondantes larmes et, bien qu’encore atterré, il reprit son sang-froid à l’arrivée du vieux médéciu du village et des deux serviteurs. On retint l’homme, enjoignant à sa femme de ne rien dire et on s’enferma dans la maison.

— Sommes-nous en présence d’un suicide ? dit le prêtre…… — C’en a tout l’air, répondit le vieux médecin qui comme le curé constata que la mort datait de quelques heures.

On transporta le cadavre sur un lit ; le médecin remit le pistolet au domestique, lui enjoignant de le mettre en lieu sûr, puis on procéda au déshabillé et à l’examen du cadavre.

La balle ou le projectile, avait pénétré dans la tempe droite, était restée dans la tête et d’après la manière dont le pistolet était placé, on pouvait augurer que le malheureux avait laissé tomber l’arme dès que le coup fatal l’eut atteint, en sorte qu’il y avait, de prime abord, lieu de croire à un suicide.

Cependant, en procédant au déshabillé du mari de Julie, le vieux médecin avait remarqué certaines marques de violence à la gorge, mais il n’en dit rien tant que le corps ne fut pas complétement mis à nu, soigneusement lavé et recouvert d’un drap blanc.

L’examen du cadavre révéla d’étranges choses. Le vieux médecin démontra clairement au curé que le mari de Julie avait succombé à la strangulation opérée par la pression des doigts sur le larynx ; les marques paraissaient nettement. Le mari de Julie n’avait pas pu s’étrangler lui-même, car, outre l’invraisemblance de la chose, les mains qui avaient opéré devaient être longues, dures, des mains de fer, disait le vieux médecin, et les mains de la victime avaient la délicatesse de celles d’une femme. Le vieux médecin et le curé notèrent particulièrement ces empreintes, et les gravèrent, pour ainsi dire, dans leur mémoire. Et, singulière-