Dans une tradition galloise analogue, que nous ont racontée les paysans de Glamorgan, la pauvre mère, trouvant aussi un nain hideux et vorace à la place de son enfant, va consulter le sorcier, qui lui dit : « Prenez des coques d’œufs, faites semblant d’y préparer à dîner pour les moissonneurs : si le nain témoigne de l’étonnement, fouettez-le jusqu’au sang ; sa mère accourra à ses cris pour le délivrer, en vous ramenant votre enfant ; s’il n’en témoigne pas, ne lui faites aucun mal. »
La mère suit le conseil du sorcier, et tandis qu’elle remplit de soupe ses coques d’œufs, elle entend le nain se parler ainsi a lui-même d’une voix cassée : « J’ai vu le gland avant de voir le chêne ; j’ai vu l’œuf avant de voir la poule blanche : je n’ai jamais vu pareille chose[1]. »
Tercet curieux, unique débris de l’antique chanson, dont les vers, à trois mots près, cadrent exactement avec ceux de la ballade bretonne. Cela nous porte à croire que la composition de cette ballade remonte à une époque antérieure à la séparation définitive des Bretons insulaires et des Bretons armoricains au septième siècle, opinion que rien ne parait contredire, et que confirme, à notre avis, la forme ternaire des strophes, et l’allitération régulière qu’elle présente d’un bout à l’autre.
Par un hasard extraordinaire, Geoffroi de Monmouth, écrivain du douzième siècle, met les paroles que nous venons de citer dans la bouche de son barde sorcier.
« Il y a dans cette forêt, dit Merlin le Sauvage, un chêne chargé d’années; je l’ai vu lorsqu’il commençait de croître... J’ai vu le gland dont il est sorti, germer et s’élever en gaule... J’ai donc vécu longtemps[2]. »
Si cette remarquable coïncidence n’était pas l’effet du hasard, elle prouverait que le moine gallois connaissait le chant populaire, et serait pour notre ballade une nouvelle preuve d’antiquité.