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vingt mille hommes y périrent à propos d’un nid d’alouettes[1]. Selon les mêmes autorités, Merlin encourut une grande haine à l’occasion de ce désastre, dont il fut, à ce qu’il paraît, la cause. Comme nous l’avons vu, il en fut aussi la victime, car il y perdit, outre son neveu et la raison, quarante-neuf pommiers de son verger sur cent quarante-sept qu’il avait, dit-il ; dernière perte qui semblerait ne lui avoir pas été moins sensible que la première, et n’avoir pas moins influé sur son esprit.

Quelques antiquaires anglais, frappés de ces bizarreries, et n’ayant pu, d’ailleurs, parvenir à trouver de lieu appelé Arderiz, ont déclaré que la bataille de ce nom est imaginaire et qu’il faut y voir un mythe et des allusions dont nous avons perdu la clef. D’autres sont allés plus loin et ont vu dans Merlin un Druide pleurant la chute de ses bois sacrés de pommiers, moissonnés par la hache ennemie et envahis par les profanes. Les vers qu’on va lire sont les autorités sur lesquelles ils s’appuient :

« Fut-il jamais fait par l’homme, dit le barde, un présent semblable à celui qui fut fait a Merlin avant sa vieillesse : sept pommiers et sept vingts de plus, de même âge, de même hauteur, de même étendue, de même grandeur[2]. Ils s’élevaient sur le versant de la montagne ; leurs branches étaient couvertes de feuilles verdoyantes ; une jeune fille aux cheveux flottants les gardait ; Rosée était son nom, rosées étaient ses dents[3].

Pommiers superbes ! ô vous dont on aime l’ombre et les fruits, dont on admire la beauté ! Les princes et les chefs trouvent mille prétextes de venir profaner mon verger solitaire ; ainsi font les moines menteurs, gloutons, méchants, et la paresseuse et babillarde jeunesse, tous se jettent avec avidité sur mes pommes, pensant qu’elles leur feront prédire les exploits de leurs rois[4]. »

  1. Myvyr., t. II, p. 63.
  2. A rozez eneb den ur piejent
    A roet da Verzin ken he henent ?
    Seiz avalen-bren ha seiz ugent
    Enn gef oad, gef uc’h, ge hed, gemment.

  3. Glouiz he hano, glouiz he dent.
  4. Myvyrian, t. I, p. 152.