Dans cette seconde pièce, Merlin ne parait plus être devin ; cependant il est encore barde, car il en porte l’anneau d’or et la harpe[1]. Mais on lui dérobe cette harpe ; on lui arrache cet anneau ; on le joue, on le charme ; il marche nu-pieds, nu-tête ; il porte des vêtements en lambeaux ; il pleure ; il est vieux, il est homme. Et, si on le recherche encore, si le peuple pousse des cris de joie pour saluer sa bienvenue, s’il paraît a la cour des chefs, c’est en souverain détrôné.
Aussi, dès qu’il le peut, s’échappe-t-il. Cette disparition est attestée dans l’histoire réelle des deux Merlin. « Nul ne sait où est la tombe de Merlin-Emreis, » dit un barde dont les poésies sont antérieures au dixième siècle[2]. Il s’embarqua avec neuf autres bardes, disent les Triades, et on ne put parvenir à savoir ce qu’il devint[3]. Merlin le Sauvage nous apprend lui-même qu’il quitta la cour et s’enfuit dans les bois[4].
Notre ballade est aussi d’accord avec l’histoire, en prêtant à Merlin un goût tout particulier pour les pommes et en le faisant tomber dans un piège où ces fruits sont l’appât. Il vénérait tellement, comme nous l’avons vu, l’arbre qui les produit, qu’il lui a consacré un poème :
« O pommier ! s’écrie-t-il, doux et cher arbre, je suis tout inquiet pour toi ; je tremble que les bûcherons ne viennent, et ne creusent autour de ta racine, et ne corrompent ta sève, et que tu ne puisses plus porter de fruits à l’avenir[5]. »
D’autre part, au douzième siècle, Geoffroy de Monmouth, avec la tradition de son temps, lui fait tenir ce langage : « Un jour que nous chassions, nous arrivâmes près d’un chêne aux rameaux touffus... A ses pieds coulait une fontaine bordée d’un gazon vert. Nous nous assîmes pour boire. Or, il y avait çà et là, parmi les herbes tendres, des pommes odorantes, au bord du ruisseau... Je les partageai entre mes compagnons. qui les dévorèrent ; mais