On devine quel fait a pu fournir le sujet de cette ballade au barde voyageur : c’est sans doute un enlèvement. La pièce offre le même mélange d’idées druidiques et chrétiennes que nous avons déjà signalé, et que nous aurons occasion de signaler encore. L’enfer, tel que le décrit ici le poëte, n’est ni l’enfer comme le conçoivent les Bretons d’aujourd’hui, ni l’enfer tel que le concevaient les Gaulois, bien que les abords en soient les mêmes. Il présente des caractères empruntés à l’un et à l’autre ; il offre aussi un des traits du vahalla des Scandinaves : les damnés boivent de l’hydromel, et la fiancée, assise sur un fauteuil doré, leur sert d’échanson. Elle ne forme aucun vœu ; elle ne souffre pas. Les démons n’ont aucun pouvoir sur elle, car elle porte des symboles bénits ; mais elle les abandonne, et soudain le puits de l’abîme l’engloutit.
On devait se figurer ainsi l’enfer au moyen âge, et Satan, comme un chevalier, avec un manteau rouge, un casque d’or, et des éclairs dans les yeux. Le barde lui fait monter une haquenée anglaise, pareille à celle de défunt seigneur Pierre d’Izel-Vet.
On voit dans la petite église de Lokrist-en-Izel-Vet, paroisse à quelques lieues de Saint-Pol-de-Léon, dans le chœur, à droite de l’autel, près de la balustrade, une tombe plate avec le nom de Pierre de Kermavan, et ces mots ; Anno Dom. mccxii. Il y a lieu de penser que c’est à ce seigneur d Izel-Vet que le barde fait allusion. On peut croire aussi qu’il n’était pas mort depuis très-longtemps, sans quoi le poëte ne l’aurait pas cité comme exemple à ses auditeurs. Telle est la raison qui nous a fait assigner à la ballade une date antérieure à la seconde moitié du treizième siècle.