Page:Barzaz Breiz 4e edition 1846 vol 2.djvu/490

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paraissent, sa jeunesse commence, rude et intolérable, à l’école de princes étrangers. Les envahisseurs qu’ils attirent près d’eux lui fournissent l’occasion de montrer cruellement qu’il n’a rien perdu de son amour pour la pairie, de sa première audace, de son esprit d’indépendance, de sa haine pour la tyrannie, et que, s’il « engendre encore des fils, c’est pour tuer les oppresseurs[1]. » Plus il avance dans la vie, et plus se renouvellent ces terribles et sanglantes épreuves imposées à son patriotisme ; quelquefois la religion vient, comme par le passé, en modérer les fanatiques écarts, et donner à sa foi guerrière un caractère touchant de naïveté. Au moment d’aller combattre, il s’agenouille avec une confiance aveugle, mais charmante, devant la statue du patron des hommes de guerre du pays, et il le tente en lui promettant des présents et des louanges si le bon saint veut bien donner la victoire à ses armes. Vainqueur, il accomplit fidèlement son vœu, et pousse même la reconnaissance jusqu’à appeler ennemi de la pairie et de Dieu quiconque ne bénit pas le patron des guerriers bretons, et ne le proclame pas le premier d’entre tous les saints de la terre et du ciel. Mais, par une anomalie bizarre, qui tient sans doute aux vices de son enfance orageuse et brutale, la vue du sang versé et des têtes broyées continue à le faire rire à grince-cœur ; il insulte à l’ennemi mort, à l’exemple des héros d’Homère ; et si un de ses compatriotes, si même un de ses chefs ose avoir soif, le malheureux ! après avoir jeûné et s’être battu tout un jour, il lui lance comme un coup d’épée, au travers du visage, ces mots terribles : Bois ton sang[2]. On dirait souvent que la victoire remportée, ou qu’il attend, réveille au fond de sa mémoire tenace les imprécations païennes qu’il vomissait jadis contre les étrangers : tandis que ceux-ci chantent joyeusement à table au milieu de la nuit, il croit ouïr une voix mystérieuse murmurant lugubrement au loin : « Plus d’un qui verse

  1. T l, p. 223.
  2. Ibid., p. 229.