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JOURNAL

Mais c’est cette honte, cette idée qu’on leur a dit des indignités de nous.

Car tout le monde a parlé de ce mariage, et bien certainement on ne dira pas que le refus vient de moi. D’ailleurs ils auront raison. N’ai-je pas consenti ? Pour traîner, pour le garder dans tous les cas ; je ne m’en repens pas, j’ai bien fait, et si ça a mal tourné, ce n’est pas de ma faute.

On ne nous connaît pas, on entend un mot par-ci par-là, on parle, on augmente, on invente, ô seigneur Dieu ! Et ne rien pouvoir !

Entendons-nous bien, je ne me plains pas, je raconte, voilà tout.

Je méprise profondément tout le monde, donc je ne puis me plaindre ni me fâcher contre personne,

L’amour tel que je l’ai imaginé n’existe donc pas ? Ce n’est qu’une fantaisie, un idéal !

La suprême pudeur, la suprême pureté sont donc des mots que j’ai inventés ?

Alors, quand je suis descendue lui parler, la veille du départ, il n’a vu dans mon action qu’un simple rendez-vous galant ?

Quand je m’appuyais sur son bras, il ne tremblait que pour des désirs ? Quand je le regardais sérieuse, et pénétrée comme une prêtresse antique, il n’a vu qu’une femme et un rendez-vous ?

Et moi, je l’aimais donc ? Non, ou plutôt je ne l’aimais que de son amour pour moi.

Mais comme je suis incapable de lâcheté en amour, j’ai aimé et senti comme si je l’aimais moi-même.

C’était de l’exaltation, du fanatisme, de la myopie, de la bêtise, oui, de la bêtise !

Si j’avais plus d’esprit, j’aurais mieux compris le caractère de l’homme.