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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

genoux. Trois fois déjà il m’a entendue et m’a exaucée : la première fois, je demandais un jeu de croquet, et ma tante me l’apporta de Genève ; la deuxième fois, je demandais son aide pour apprendre l’anglais, j’ai tant prié, tant pleuré, et mon imagination était tellement excitée qu’il m’a semblé voir une image de la Vierge dans le coin de la chambre, qui me promettait. Je pourrais même reconnaître l’image…

J’attends Mlle Colignon pour la leçon depuis une heure et demie, et c’est tous les jours comme cela. Et maman me fait des reproches, et ne sait pas que j’en suis chagrinée, que je suis brûlée dans l’intérieur par la colère, l’indignation ! Mlle C… manque les leçons, elle me fait perdre mon temps.

J’ai treize ans ; si je perds le temps, que deviendrai-je ?

Mon sang bout, je suis toute pâle, et par moments le sang me monte à la tête, mes joues brûlent, mon cœur bat, je ne puis rester en place, les larmes me pressent le cœur, je parviens à les retenir, et j’en suis plus malheureuse ; tout cela ruine ma santé, abîme mon caractère, me fait irritable, impatiente. Les gens qui passent tranquillement leur vie, cela se voit sur la figure, et moi qui suis à chaque instant irritée ! c’est-à-dire que c’est toute ma vie qu’elle me vole en me volant mes études.

À seize, dix-sept ans, viendront d’autres pensées, et maintenant c’est le temps pour étudier ; c’est heureux que je ne sois pas une petite fille enfermée dans un couvent et qui, en sortant, se jette comme une folle au milieu des plaisirs, croit à tout ce que lui disent les

   M. B.
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