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JOURNAL

gentilhomme ruiné qu’un bourgeois riche, je vois plus de charme dans du vieux satin ou de la dorure noircie par le temps, des colonnes et des ornements passés, que dans des garnitures riches, sans goût et se jetant aux yeux. Un vrai gentilhomme ne mettra pas son amour-propre à avoir des bottes brillantes, bien cirées et des gants collants. Non que la mise doive être négligée, non !… Mais entre le négligé noble et le négligé pauvre il y a si grande différence !

Nous quittons cet appartement, je le regrette beaucoup, non parce qu’il est commode et beau, mais parce qu’il est un ancien ami, que j’y suis habituée. Quand je pense que je ne verrai plus mon cher cabinet d’études ! J’y ai tant pensé à lui ! Cette table sur laquelle je m’appuie et sur laquelle j’écrivais tous les jours tout ce qu’il y a de plus doux et de plus sacré dans mon âme ! Ces murs où mon regard se promenait en voulant les percer et aller loin, loin ! Dans chaque fleur du papier, je le voyais ! Combien de scènes je m’imaginais dans ce cabinet, où il jouait le principal rôle. Il me semble qu’il n’y a pas au monde une seule chose à laquelle je n’aie pensé dans cette petite chambre, en commençant par les plus simples jusqu’aux plus bizarres.

Le soir, Paul, Dina et moi, nous restons ensemble, puis je suis restée seule. La lune éclairait ma chambre et je n’ai pas allumé les bougies. Je suis sortie sur la terrasse et j’entendis des sons lointains, de violons, guitares et harmoniflûtes ; je suis rentrée vite et me suis