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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Si la peinture ne me donne pas de gloire assez tôt, je me tuerai et voilà tout. C’est résolu depuis quelques mois déjà… En Russie encore, je voulais me tuer, mais j’ai eu peur de l’enfer. Je me tuerai à l’åge de trente ans, car jusqu’à trente ans, on est encore jeune et on peut espérer la chance, ou le bonheur, ou la gloire, ou n’importe quoi. Ainsi donc, voilà qui est réglé et si je suis raisonnable, je ne me tourmenterai plus, non pas seulement ce soir, mais toujours. Je parle très sérieusement et je suis vraiment contente de me faire une raison. Samedi 11 janvier.-A l’atelier, on croit que je vais beaucoup dans le monde ; cela joint à ma fortune me sépare des autres et ne me permet pas de leur demander quoi que ce soit, comme elles le font entre elles, pour aller chez un peintre ou visiter un atelier. J’ai honnêtement travaillé toute la semaine jusqu’à dix heures du soir du samedi, puis, je suis rentrée et me suis mise à pleurer. Jusqu’à présent je me suis toujours adressée à Dieu, mais comme il ne m’entend pas du tout, je n’y crois… presque plus. Ceux-là seuls qui ont éprouvé ce sentiment, en comprennent toute l’horreur. Ce n’est pas que je veuille précher la religion par vertu, mais Dieu est une chose bien commode. Quand on n’a à qui s’adresser, quand on est à bout de moyens, il reste Dieu. Cela n’engage à rien et n’inquiète personne, et l’on a une supréme consolation.

Qu’il existe ou non, il faut ý croire absolument ou bien être très heureux, alors on s’en passe. Mais dans le chagrin, dans le malheur, dans toutes les choses désagréables enfin, il vaut mieux mourir que de n’y pas croire.