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JOURNAL

faut marcher avec son temps, surtout lorsqu’on en sent réellement le désir et le besoin irrésistible. Samedi 14 octobre. J’ai lâché ma téte au milieu de la semaine ; par conséquent, comme Robert-Fleury passait du grand atelier dans le petit, je me suis dissimulée derrière les manteaux ; mais il m’a vue et im’a adressé un reproche amical, et, comme je répondais, il poursuivait son chemin en hochant la tête et en me regardant ; ce qui fit qu’il ne regarda pas devant lui et alla s’aplatir le nez contre une porte, et moi de rire. Aussi a-t-il été très froid en corrigeant mon torse et ne m’a-t-il rien dit de bon. Une autre fois, avec la même toile, j’aurais eu un peu plus de succès ; aussi me voici malheureuse, détraquée, offensée, perdue, et si Julian ne m’avait un peu réconfortée avec la composition, j’aurais été me coucher par terre de désespoir. Chaque samedi me coûte cher d’émotion !… Si les professeurs pouvaient soupçonner ce que je subis de tourments, ils n’auraient le courage de rien dire. Samedi 29 octobre. — Ma peinture est « beaucoup, beaucoup mieux ». Nous avons fait l’autre jour l’esquisse d’une heure pour les places. Et ce matin, on les étale dans le petit salon où l’on enferme Tony, qui se refuse absolument à les numéroter, en disant que c’est impossible, que le travail d’une heure n’est rien, et qu’enfin il veut bien y mettre des numéros au hasard et en tournant le dos. Si ce n’est pas très sérieux, c’est assez amusant, parce que nous écoutions à la porte. Mademoiselle Marie, dit-il, vous êtes jeune, j’aurais aussi bien pu vous mettre première, cela ne signifie rien ; une autre fois, vous me donnerez vos études de la