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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

c’est trop cruel, c’est trop affreux, c’est trop épouvantable ! La peinture et les modèles ! Je n’entends pas toujours ce qu’ils me disent et je tremble qu’ils parlent ; est-ceque vous croyez que le travail ne s’enressent pas ? Quand Rosalie est là, elle m’aide ; seule, je suis saisie de vertige et ma langue se refuse à dire : « Parlez un peu plus fort, je n’entends pas très bien ! » Mon Dieu, ayez pitié de moi ! Et si je ne crois pas en Dieu, c’est mourir àl’instant de désespoir. Le poumon est venu à la suite de la gorge, et la gorge a causé ce qui arrive aux oreilles. Maintenant, soignez ça ! Mais je me suis toujours soignée. C’est le docteur Krishaber qui a fait le mal, c’est à la suite de son traitement que j’ai… Mon Dieu, faut-il donc ètre si atrocement séparée du reste de la terre ? Et c’est moi, moi, moi ! Ah ! il y en a à qui ça ne serait pas si douloureux, mais… O quelle horrible chose ! Mercredi 10 août. — Jeudi 14 août. — Tous les jours je vais à Passy, mais sitôt que je suis installée je prends en horreur ce que je commence. D’abord Fortunata que j’ai renvoyée en lui payant six séances pour rien ; puis c’est le tableau duquel j’étais folle. Julian avait dit qu’il fallait modifier, améliorer la composition et cela m’a suffi pour que je ne sache plus quoi faire. D’abord, malgré tout, je l’ai commencé, mais après avoir commencé, j’en ai eu dégoût et peur. La vérité est qu’il ne me reste que vingt jours, et s’il pleut ? Mon tableau, c’est une affiche électorale devant laquelle il y a un garçon épicier avec son panier, un ouvrier qui rit à un monsieur avec serviette sous le bras ; un gommeux à l’air très bête et un vaste chapeau bonapartiste dont on ne voit que… le chapeau. Dans le fond, une petite femme. C’est grand comme nature à mi-