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JOURNAL

finirai par

le croire. En réalité, depuis que je peins ça ne marche pas ; est-ce à dire que je fais moins ? Non je me suis donné un mal horrible, et depuis deux ans j’entreprends dės choses trop difficiles peut-être, mais je travaille.

Mais Julian veut que ce soit parce que je ne iravaille pas que je m’éparpille… Ils m’ennuient tous, je m’ennuie !… Je ne guérirai jamais. Vous ne sentez pas ce que cela a d’horrible, d’injuste, de désespérant ? Je supporte cette pensée avec calme, j’y ai été préparée, mais ce n’est pas encore pour cela ; je ne puis croire que ce soit pour toujours. Comprenez-vous bien, pour toute la vie, jusqu’à la mort ?…

Évidemment ça va influer sur mon caractère et sur mon esprit, sans compter que cela m’a fait déjà des cheveux blancs.

— c’est que Je le répète, je n’y crois pas encore. C’est impossible qu’il n’y ait rien, rien à faire ; que ce soit pour l’éternité, et que je mourrai avec ce voile entre l’univers et moi, et que jamais, jamais, jamais !… N’est-ce pas qu’on ne peut pas croire à un arrêt aussi définitif, aussi irrévocable ? Et pas l’ombre d’espoir, pas l’ombre, pas l’ombre ! Ça me rend si nerveuse en travaillant, je crains toujours que le modėle parle sans que j’entende, ou quelqu’un à l’atelier, ou qu’on rie…, ou bien qu’on parle trop haut pour moi.

Et avec le modèle chez moi ?… Mais sapristi, on lui dit carrément que… que quoi ? Que je n’entends pas bien ! I Essayez-le donc. Un pareil aveu d’infirmité ! Et une infirmité și humiliante, si sotte, si triste, une infirmité

!