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JOURNAL

Je suis restée là jusqu’à la fin, à genoux, et tantôt passant une main sur ce pauvre front, tantôt tatant le pouls. Je l’ai vu mourir, pauvre cher grand-papa… après tant de souffrances. Je n’aime pas dirė des banalités : pendant le service qui a eu lieu près du lit, maman est tombée dans mes bras, on dut l’emporter et la coucher dans sa chambre. Tout le monde pleurait tout haut, même Nicolas ; je pleurais aussi, mais tranquillement. On l’avait couché sur son lit, mal arrangé ; ces domestiques sont abominables, ils y mettent un zėle qui fait mal ; j’ai arrangé moi-même les oreillers, les couvrant de bâtiste bordée de dentelles, et j’ai drapé un châle autour du lit quư’il aimait qui paraîtrait pauvre aux autres. Tout autour, de la mousseline, blanche ; cette blancheur va à l’honnéteté de l’âme qui s’est envolée et à la pureté du ceur qui ne bat plus. Je lui ai touché le front, quand il était déjà froid et je n’ai eu ni peur, ni dégoût. On s’attendait au coup, mais on est assommé quand — — en fer — et

même. J’ai rédigé les dépéches et les lettres de faire part. Mais il fallait aussi donner des soins à maman qui eut une violente attaque de nerfs. Je crois que j’ai été tout à fait convenable et que, pour ne pas crier, je n’ai pas plus mauvais ceur que les autres. Je ne sais plus distinguer, mes rêves de mes sentiments réels.

Il a fallu aller chercher des faiseurs de deuil, etc., ete. Ma famille serait capable de ne pas mettre de deuil extérieur, ne. voulant pas comprendre qu’on ne tient aucun compte du deuil de l’âme et que plus on met de crêpe, plus on est bonne mère, bonne fille, veuve inconsolable.

L’atmosphère offre un affreux mélange de fleurs,