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JOURNAL

et n’ont de réalité que dans notre esprit… Pour concilier tout cela, il ne faudrait pas être pressée de se coucher et penser à l’heure où il faut commencer à dessiner pour avoir fini samedi. Dans le langage courant, on nomme imagination autre chose que ce que je pense. ; on dit imagination pour dire folie, bètise, sans cela… l’amour peut-il exister autrement que dans l’imagination ? Ainsi de tous les autres sentiments. Voyez-vous, cet échafaudage philosophique est admirable, mais une simple femme comme moi peut en démontrer la fausseté. Les choses n’ont de réalité que dans notre esprit ? Bien, et moi, je vous dis : que l’objet frappe la vue, et le son, l’ouïe, et que ces… mettons choses déterminent tout… Autrement rien n’aurait besoin d’exister, nous inventerions tout. Si dans ce monde rien n’existe, où donc existe-t-il quelque chose ? Car pour affirmer que rien n’existe, il faut avoir connaissance de l’existence réelle de quòi que ce soit, n’importe où, quand cela ne serait que pour se rendre compte de la différence entre les valeurs objectives et imaginaires. Certes… les habitants d’une autre planète voient peut-être aulrement que nous et dans ce cas on a raison ; mais nous sommes sur la terre, restons-y, étudions ce qui est dessus ou dessous et c’est bien assez. Je m’enthousiasme pour ces savantes, patientes, extraordinaires, abracadabrantes folies ; ces raisonnements, ces déductions, si serrées, si savantes… Il n’y a qu’une chose qui me désole, c’est que je sens que c’est faux, et que je n’ai pas le temps, ni la volonté de trouver pourquoi.

Je voudrais en causer avec quelqu’un, je suis bien seule. Mais je vous jure que ce que j’avance n’a pas l’intention de s’imposer aux gens, je dis naïvement