Page:Bassompierre - Journal de ma vie, 1.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
journal de ma vie

maintenant que vous estes las de cette nuit passée, vous avés dessein de partir dimanche ; mais quand vous vous serés reposé, et que vous songerés a moy, vous serés bien ayse de demeurer un jour davantage pour me voir une nuit. » En fin je fus aysé a persuader, et luy dis que je luy donnerois cette journée pour la voir la nuit au mesme lieu. Allors elle me repartit : « Monsieur, je sçay bien que je suis en un bordel infame, ou je suis venue de bon cœur pour vous voir, de quy je suis sy amoureuse, que, pour jouir de vous, je crois que je vous l’eusse permis au millieu de la rue, plustost que de m’en passer. Or une fois n’est pas coustume ; et, forcée d’une passion, on peut venir une fois dans le bordel ; mais ce seroit estre garce publique d’y retourner la seconde fois. Je n’ay jamais connu que mon mary, et vous, ou que je meure miserable, et n’ay pas dessein d’en connestre jamais d’autre : mais que ne feroit on point pour une personne que l’on ayme, et pour un Bassompierre ? C’est pourquoy, je suis venue au bordel ; mais ç’a esté avesques un homme quy a rendu ce bordel honorable par sa presence. Sy vous me voulés voir une autre fois, ce pourra estre cheux une de mes tantes, quy se tient en la rue du Borg l’Abbé, proche de celle des Ours, a la troisieme porte du costé de la rue de Saint-Martin. Je vous y attendray depuis dix heures jusques a minuit, et plus tard encores, et laisseray la porte ouverte, ou, a l’entrée, il y a une petite allée que vous passerés viste ; car la porte de la chambre de ma tante y respond ; et trouverés un degré quy vous menera a ce second estage. »

Je pris le party, et ayant fait partir le reste de mon