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journal de ma vie.

le but et la visée de leur discours, et ce que j’avois a leur respondre. J’estois fort asseuré que l’affection qu’ils me portoint n’estoit pas assés grande pour me procurer un bien qu’ils tenoint estre a leur prejudice, et qu’ils me vouloint tenter, premierement pour penetrer mon dessein, secondement pour le descouvrir au roy ; qu’ils se vouloint servir de moy pour les ayder a ruiner Mr de Puisieux, et apres avesques plus grande facilité me ruiner moy mesme, a quy ils n’estoint pas plus obligés de garder l’amitié et la foy, que moy j’estois avesques Mr de Puisieux a quy j’en aurois precedemment manqué, et qu’ils auroint une legitime excuse envers moy de leur manquement, fondée sur ma propre action. Je leur respondis donc que je ne pouvois penetrer la necessité que le roy avoit d’avoir un favorit, puis qu’il s’en estoit sy facilement passé depuis huit mois ; que ses favoris devoint estre sa mere, son frere, ses parens et ses bons serviteurs, et ce suyvant l’exemple du roy son pere, et que sy quelque fatalité le portoit d’en avoir, il luy en falloit laisser le choix et l’eslection ; que je n’avois jamais ouy parler d’aucun prince quy prit des favoris par arrets de son conseil ; mais qu’en quelque façon que ce fut, ce ne seroit jamais moy quy occuperoit cette place, parce que je ne la meritois pas, parce aussy que le roy ne m’en voudroit pas honorer, parce finalement que je ne la voudrois pas accepter ; que j’aspirois a une faveur mediocre, et une fortune de mesme calibre, acquise par ma vertu et mon merite, et conservée avesques seureté ; que la prodigalité que j’avois fait jusques a maintenant de mon bien, et le peu de soin que j’avois pris d’en amasser, estoint de suffisans tesmoygnages