Page:Bastiat - Proudhon - Interet et principal, Garnier, 1850.djvu/100

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leur donner un conseil de charité et non faire un cours d’économie politique. Jésus était charpentier, il travaillait pour vivre. Dès lors, il ne pouvait faire du don une prescription absolue. Je crois pouvoir ajouter, sans irrévérence, qu’il se faisait payer très-légitimement, non-seulement pour le travail consacré à faire des planches, mais aussi pour le travail consacré à faire des scies et des rabots, c’est-à-dire pour le Capital.

Enfin, je ne dois pas laisser passer les deux apologues par lesquels vous terminez votre lettre, sans vous faire observer que, loin d’infirmer ma doctrine, ils condamnent la vôtre ; car on n’en peut déduire la gratuité du crédit qu’à la condition d’en déduire aussi la gratuité du travail. Votre second drame me porte un grand coup d’épée ; mais, par le premier, vous m’aviez charitablement muni d’une cuirasse à toute épreuve.

En effet, par quel artifice voulez-vous m’amener à reconnaître qu’il est des circonstances où on est tenu en conscience de prêter gratuitement ? Vous imaginez une de ces situations extraordinaires qui font taire tous les instincts personnels et mettent en jeu le principe sympathique, la pitié, la commisération, le dévouement, le sacrifice. — Un insulaire est bien pourvu de toutes choses. Il rencontre des naufragés que la mer a jetés nus sur la plage. Vous me demandez s’il est permis à cet insulaire de tirer, dans son intérêt, tout le parti possible de sa position, de pousser ses exigences jusqu’aux dernières limites, de demander mille pour cent de ses capitaux, et même de les louer au prix de l’honneur.

Je vois le piége. Si je réponds : Oh ! dans ce cas, il faut voler, sans conditions, au secours de son frère, partager avec lui jusqu’à la dernière bouchée de pain. Vous triompherez, disant : Enfin mon adversaire a avoué qu’il est des occasions où le crédit doit être gratuit.

Heureusement, vous m’avez fourni vous-même la réponse dans le premier apologue, que j’aurais inventé, si vous ne m’aviez prévenu.

Un homme passe sur le bord d’un fleuve. Il aperçoit un de ses frères qui se noie, et n’a, pour le sauver, qu’à lui