Page:Bastiat - Proudhon - Interet et principal, Garnier, 1850.djvu/107

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successivement et contradictoirement le dire de chaque partie ; et, puisque nous avons pris le public pour juge, il est évident qu’une fois votre système exposé et débattu, il faut aborder le mien.

Avec vous, les choses ne se passent point ainsi. Satisfait de la concession que je vous ai faite, à savoir que dans l’état actuel des choses le prêt à intérêt ne peut être considéré comme un acte illicite, vous tenez la nécessité de l’Intérêt pour démontrée ; et là-dessus, sous prétexte que vous n’entendez rien à l’antinomie, me fermant la bouche, vous faites défaut au débat. Est-ce discuter, je vous le demande ?

Forcé par une conduite si étrange, je fais alors un pas vers vous. Ma méthode de démonstration avait paru vous faire quelque peine : je quitte cette méthode, et vous montre, en employant la forme ordinaire de raisonnement, que tout change dans la société ; que ce qui à une époque fut un progrès, à une autre devient une entrave ; qu’ainsi, en faisant abstraction du temps, la même idée, le même fait, change complétement de caractère, selon l’aspect sous lequel on le considère ; que rien n’empêche de croire que l’Intérêt soit précisément dans ce cas ; qu’en conséquence votre fin de non-recevoir ne peut être admise, et qu’il faut décidément examiner avec moi l’hypothèse de la gratuité du crédit, de l’abolition de l’Intérêt.

A cela que répondez-vous ? c’est à peine si j’ose vous le rappeler. Parce que, par égard pour vous, j’avais cru devoir changer de méthode, vous m’accusez, d’abord de tergiversation, ensuite de fatalisme ! J’ai fait avec vous, permettez-moi cette comparaison, ce que le professeur de mathématiques fait avec ses élèves, lorsqu’à une démonstration difficile, il en substitue une autre plus saisissable à leur intelligence. Car, sachez-le bien, monsieur, la dialectique hégélienne, qui cependant n’est pas toute la logique, est au syllogisme et à l’induction ce que le calcul différentiel est à la géométrie ordinaire. Il vous est permis d’en rire ; c’est le droit de l’esprit humain de rire de ce qu’il a une fois compris et deviné ; mais il faut comprendre, sans quoi le rire n’est que la grimace de l’insensé.