Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 9, 1922.djvu/17

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invisible… L’Idée-Force passe, subjugue et terrasse. Quelque nom qu’on lui donne en tout cas, c’est une de ces émanations supérieures du cerveau et de la conscience, telle qu’elle se dresse en face des codes éternels de la nature et de la société. Un jour lointain, ces forces contradictoires de la nature et de l’esprit se joindront-elles en une pacifique harmonie ? Qui sait ? Qui peut le nier ou nous en interdire la magnifique et douloureuse espérance ? Espérance certes, et seulement cela ; grand soupir de l’âme humaine, encore si loin de son but !… Nous sommes une humanité de transition.

Mais permettez-moi d’ajouter que, si ce personnage, à la fois invisible et tangible, enveloppe les autres personnages de la pièce et plane au-dessus d’eux, durant le cours des trois actes, il demeurera, pour les spectateurs, tout facultatif… Ils pourront, s’ils le veulent, suivre une toute petite historiette et se donner le loisir de ne pas penser… Ce n’est pas affaire de concession. C’est un devoir que m’impose la conception que j’ai du théâtre, celle que je proclame depuis quinze ans. Le théâtre, art vivant par excellence, doit se soumettre entièrement à la vie et à sa représentation exacte… Si nous y ajoutons des idées, elles doivent être incluses dans l’œuvre même. C’est à nous de manier ou de coordonner les faits pour les joindre aux idées, mais jamais, au grand jamais, celles-ci ne doivent s’interposer d’elles-mêmes. Elles peuvent faire partie intégrante de l’ouvrage, jamais partie extérieure. Il peut donc y avoir, à côté du drame humain, un drame de pensée, mais lié à l’autre à ce point qu’il se dégage de manière toute facultative, selon l’esprit et l’interprétation du spectateur.