Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/133

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la cime. J’en sais peut-être quelque chose… Calmez-vous, je vous en prie. Je ne vous reconnais plus.

GINETTE.

Oh ! c’est que j’ai tellement changé !… J’avais dix-neuf ans au commencement de la guerre… Une année de plus et il me semble que j’en ai cinquante !… Je vivais dans une espèce de vertige, comme sur une barricade, les yeux encore pleins des horreurs que j’avais vues… J’aurais voulu être homme pour partir et taper dur !… Ah ! les belles heures d’enthousiasme !… Je ne savais rien de la vie ! Je pleurais comme on chante…

DUARD.

Eh bien, rien n’est changé !

GINETTE.

Rien…, mais la fièvre s’est calmée depuis… Nous avons eu trop de loisirs… La conscience a eu le temps de naître… Des mois… des mois… d’hécatombes… de sang… cette guerre de siège qui n’en finit pas !… Dirais-je encore : « Partez ! » comme je l’ai dit dans un coup de tête, d’emballement… sans même me poser les questions… qui m’obsèdent chaque nuit maintenant !…

DUARD.

Vous vivez trop repliée sur vous-même… Vous vous rongez toutes les deux. D’abord il n’y a aucun malheur, j’en ai le sentiment très net.

GINETTE.

Dieu vous entende !

DUARD.

Le pire est peut-être que Monsieur Bellanger soit prisonnier en Allemagne.