Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/198

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CÉCILE.

Des mots ! Petite menteuse ! Tu penses à lui tout le temps, n’est-ce pas ! Alors, où est sa photographie ? À ton poignet ou dans ton médaillon ?… Pleures-tu le soir au fond de ta chambre comme au premier soir, dis ? Moi, je pleure toujours ! Souffres-tu dans ton cœur, dans ta chair ?

GINETTE.

Non… pas ça !… Vous voulez me charger de plus de liens et de plus d’obligations que je n’en ai ; pas la chair !… Je ne lui ai jamais appartenu. Comprendre sa pensée, prolonger l’affection pure, idéale, qu’il a daigné m’accorder, communier en lui, ah ! cette fidélité-là, vous ne me l’apprendrez pas, Cécile !… Mais je n’ai eu ni l’honneur d’être sa femme, ni la lâcheté d’être sa maîtresse !

CÉCILE.

Ajoutez donc le mot qui vous brûle les lèvres : « Et je ne l’aimais pas ! »

GINETTE.

Je l’adorais ! J’ose le dire devant vous parce que je n’éprouvais pas cet amour auquel vous voulez me rabaisser. Je ne sais si je l’ai aimé autrefois, au sens ordinaire du mot, avant son départ pour le front… je n’en sais rien… Peut-être ! Mais depuis ce moment-là, mon culte a grandi tous les jours… Maintenant, c’est un vaste souvenir triste, mais plus apaisé, plus fortifié, comme il l’aurait souhaité lui-même.

CÉCILE.

C’est ça, c’est ça… la chapelle du souvenir ! On lui rend de petites visites, qui n’exigent d’abnégation d’aucune sorte ! Oh ! un mort vraiment bien facile à honorer ! Et pourtant, la fidélité de ce souvenir-là, c’était encore trop lourd à suppor-