Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réelle sublimité de cette tuerie est celle qui a exhaussé le courage de l’homme à la hauteur jamais atteinte du sacrifice sans illusion et de la résignation sans espoir. Un poète digne de ce nom ne sera pas le chantre enthousiaste de cet égorgement monstrueux ; c’est impossible ! Il ne se trouvera pas un grand poète épique pour clamer, même en strophes patriotiques, autre chose que sa douleur, son affliction, sa pitié désolée, sa rage devant un meurtre, un carnage méthodique comme celui qui est en train de dévaster le monde. Les ivresses brusques empoignent l’homme et le précipitent hors de lui-même, jusqu’aux confins de l’enthousiasme et du lyrisme. Les ivresses lentes l’intoxiquent, c’est une loi physique. Cette guerre est une guerre triste ; elle ne connaît pas l’allégresse des combats, des victoires inopinées, prochaines. Elle est une guerre d’abattoir, et le sang qui coule inépuisablement se répercute, en bruit sinistre, au cœur de tout être sensible.

Le grand témoin divin, là-haut, c’est le Regret.

Mais par exemple, de quel émoi le poète pourra frémir s’il étend ses mains vers la douleur terrestre !… Il sentira son âme se gonfler d’autres sanglots que de simples sanglots de gloire, et s’il découvre une beauté magique, divine à ces tragédies, c’est uniquement celle qui se dégage du sacrifice merveilleux que l’homme fait sans répit de son bonheur et de sa vie, de ce mépris souverain de la mort qu’il aura montré, de cette souveraine éducation morale qui le fait tomber au champ d’honneur, devant la fatalité de son idéal, non pas la joie au cœur comme le prétendent les pharisiens hypocrites chargés d’entretenir le mensonge de la guerre, mais un courage indicible dans l’âme… et au bout de ses poings meurtris !

L’immense Passion de Notre-Dame l’humanité,