Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/337

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RENÉE.

Répétez-le, vous allez voir sur-le-champ, si c’est du chantage !… Et vous voulez savoir pourquoi je le ferai, comme je le dis ? Que le bourreau connaisse au moins l’état d’esprit de sa victime ! Écoutez-moi : je ne suis pas désespérée, ni lasse de la vie… non, j’en suis écœurée !… Je suis dégoûtée de tout et de moi-même par-dessus le marché ! Oh ! tout ce que j’ai vu autour de moi !… la méchanceté des hommes… la tuerie universelle, la curée immonde des appétits, la chiennerie autour de tous les intérêts au nom de tous les idéals… La justice, où cela ?… La pitié, elle n’est d’aucun parti !… De braves gens, des justes, oui… Mais ce qu’il m’a été donné de voir en peu d’années ! Quelle nausée !… Et par-dessus tout… comme une faillite suprême… le dégoût de moi-même, du mensonge vivant que je suis !… Ah ! certes, je ferai sans peine le sacrifice d’une peau qui n’a plus de valeur à mes yeux, et d’une vie où il y a des mères pour souffler des œuvres comme celle-là… et des hommes comme vous pour les écrire !… Je ne regretterai qu’un seul être… qu’un seul cœur, pour lequel le mien a battu de toutes mes forces… À part ça, la mort me trouvera prête !… Et si mon suicide, là, à vos pieds, devant les ballots du livre exécrable, peut être compris par tout le pays comme le cri d’indignation d’une âme qui se refuse à être broyée et avilie… comme un cri de révolte contre la méchanceté des hommes… alors, je ne regrette rien… allons-y !…

(Elle jette son manchon sur une chaise et brandit le sac dans ses mains.)
GIBERT.

Avant toute chose, de quel droit flétrissez-vous cette œuvre sans la connaître ?… Si vous l’aviez