Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/83

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mes mêlent leurs cauchemars, commandent, gémissent, montent à l’assaut, revivent le drame… Moi, devant ces fantômes, j’étais transie d’horreur, elle, à mes côtés, pas du tout, elle était calme, elle souriait presque. Moi, je suis allée tout de suite à l’un qui criait plus que les autres dans la grande mêlée imaginaire et je balbutiais n’importe quoi : « Voyons, voyons, calmez-vous, calmez-vous ! » Elle, presque en souriant, au contraire, s’est approchée d’un grand diable plus forcené, elle lui a tapoté la joue avec une autorité extraordinaire, comme si elle était de longtemps une professionnelle habituée, et en le tutoyant, elle lui a ordonné sévèrement de se taire pour ne pas fatiguer les autres… Et tu vois que, rentrée ici, elle joue du violon, elle a un appétit d’enfer… elle mange comme quatre !… Faut-il admirer ?… Pourtant, il me semble que, moi aussi, je porte une force d’amour, d’abnégation aussi grande… seulement, c’est une force sourde, grave… Est-ce que je reviens déjà de la vie, quand d’autres s’y précipitent ?… Elle joue du violon : j’ai abandonné le piano !…

PIERRE.

Cela provient du parfait accord de toutes ses facultés… Combien sont-elles de jeunes filles maintenant qui se sont transformées ainsi, par le miracle de la guerre !… Elles auront fait notre étonnement, notre stupeur admirative… Mais toi, tu as ta haute sensibilité… Nous sommes moins maîtres de nos sensations ? Sans doute c’est aussi qu’elles sont plus intenses… Mais il ne faudrait pas te surmener ?…

CÉCILE.

Et toi, tu as l’air soucieux ? Le communiqué est bon cependant, n’est-ce pas ?