Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 11, 1922.djvu/278

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ans, comme on éprouve le besoin de se griser d’été, de courir dans le soleil… Cela s’appelle tromper… et c’est tromper, en effet, misérablement… Mais, dans ce cas, nous savons bien, nous autres femmes, à quoi nous en tenir !… Cela m’empêche-t-il de boire ses paroles à cet homme-là… de le chérir avec passion, et d’éprouver un vrai plaisir physique à vivre tout près de lui, une sympathie perpétuelle de la peau et de l’esprit… Je n’ai pas su lui faire certains sacrifices, celui de ma liberté… c’est lâche… très lâche… Cependant si cet homme, si âgé soit-il, me demandait de me jeter par la fenêtre, je crois que je le ferais sans hésiter une seconde… Comprends si tu peux, mon petit, mais ça c’est la vérité et qui part de là…

(Elle se frappe le cœur et s’en vient tomber rageusement sur la chaise-longue. Grand silence.)
SERGYLL, (va à elle, la voix douce, timide.)

Pardonne-moi, Manoune… J’ai eu un moment d’impatience. J’ai manqué de tact vis-à-vis de toi.

MARTHE.

D’ailleurs, dès que je t’ai vu entrer ici comme chez toi, plaisantant, dans un endroit où je ne pénètre qu’avec une sorte de respect extasié, j’ai eu l’impression nette que l’incident allait surgir. Je me suis repentie immédiatement de t’avoir laissé monter dans un moment de désarroi nerveux et je viens de mesurer la distance infinie qui sépare encore deux êtres quand ils se sont tout donné d’eux-mêmes.

SERGYLL.

Cette distance, ne crois-tu pas que je pourrai la combler un jour, à force de patience et en rectifiant mes défauts ?