Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/14

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nous ne partons pas d’une observation ou d’une donnée purement accidentelle ; pour parler le langage cher aux critiques, nous procédons toujours de l’idée au fait, et non point du fait à l’idée. En ce qui me concerne, depuis vingt-sept ans que je donne régulièrement des œuvres de théâtre, je n’ai jamais fait autrement. Une fois que la pensée fondamentale du drame s’est imposée à mon esprit, j’en cherche la démonstration dans la vie courante. Le document humain me fournit tout de suite d’amples et très diverses illustrations. De ce document, se dégagent, peu à peu, les caractères, l’individualité de chacun des personnages, et ce n’est que lorsque idées et caractères se sont conjugués que l’intrigue proprement dite apparaît ou se précise. Je m’efforce alors à essayer de la rendre claire, symbolique en ses moindres parties. Je tâche que le plus d’idées universelles soient contenues dans un minimum de faits particuliers, tous pris dans la réalité, et c’est là une formule toute homéopatique : « faire tenir le plus d’infini possible dans une dose réduite et concentrée ». Qu’une larme provoquée dans l’œil du public, par une action brutale ou immédiate, ouvre en son esprit, et presque à son insu, des au-delà d’idées et de sentiments qui l’amènent jusqu’à notre pensée profonde, jusqu’à notre zone de rêverie ! Le difficile est de parvenir à ce résultat-là, et, pour l’atteindre, il ne faut guère se fier qu’à l’émotion et à la sincérité avec lesquelles on écrit !… Mais, en tout cas, erronée ou non, ma conviction a toujours été celle-ci : nous ne devons jamais agrandir un fait, un sujet ; j’estime que c’est là un détestable procédé de dilution ; il faut, au contraire, réduire une idée vaste, la tremper dans la nature et trouver en elle son application, sa démonstration, en un mot sa syn-