Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/261

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de jolis cheveux, Jeanne », je n’ai pas hésité à rejeter la tête en arrière, comme ça, pour que tu m’embrasses… Non, bien sûr, je ne t’en veux pas… Nous avons été deux coupables du même âge qui se laissent aller à la nature, sans penser aux conséquences et, pendant deux mois, j’ai été tellement heureuse que, mon Dieu, je peux bien endurer un peu maintenant… Deux mois ! c’est beaucoup dans une vie…

GABRIEL.

Pourquoi parles-tu au passé et avec cet air bizarre ? comme si tu voulais insinuer quelque chose !…

JEANNE.

Oh ! que veux-tu… Je me rends bien compte que je suis pour toi une gêne, une espèce de remords… Ma maternité t’a ahuri, révolté, car j’ai deviné ta rage, va, mon pauvre petit, et encore plus ton dégoût !

GABRIEL.

Mon dégoût ?

JEANNE.

Ne proteste pas !… La maternité chez les pauvres, ça n’a rien de bien excitant… Je me tiens et je tiens le bébé aussi proprement que possible, mais, malgré tout, pour un Monsieur comme toi, ces choses dont tu n’avais pas l’habitude, les dessous de la vie au grand jour et sans luxe, ce n’est pas fait pour t’attacher à moi. Tu dois avoir hâte de connaître d’autres femmes plus relevées, plus élégantes… de ton monde, quoi ! J’ai été un caprice, un amusement et, maintenant, tu as des façons de me regarder, par moments, avec un oeil froid et des mâchoires serrées…