Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/316

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PHILIPPE, (lisant.)

Mon père… (Il lit à voix basse d’abord, puis une phrase à voix haute.) Vous dont je ne porte pas le nom… mon père, dites-vous que si je suis tombé, c’est que je tenais particulièrement à vous faire honneur… Quand vous penserez plus tard à moi, je veux que vous vous disiez : « Ce sang-la, ce sang qu’il a versé… »

(Sa voix s’étrangle, il continue des yeux.)
LEVASSEUR.

C’est beau, n’est-ce pas ?… Quelle simple noblesse !… Quelle dignité chez ce réprouvé ! C’était une âme, à coup sûr ! (Philippe tend la lettre à son père qui la prend et la remet dans son portefeuille.) Voilà qu’il faut que j’aie la honte d’en être fier et de sentir, à l’heure de l’adieu, cette paternité que j’ai si commodément étouffée pendant trente ans de ma vie ! Et l’autre, la femme… (Il désigne le siège où elle était assise.) Si tu l’avais entendue !… À travers l’expression précautionneuse de son chagrin, je sentais qu’elle voulait surtout me faire apprécier la valeur du disparu ! « Si tu l’avais connu ! »… cela revenait comme un leitmotiv d’affreux regrets !… Ses mots, doucement, avaient l’air de chercher le chemin de mon cœur pour y éveiller l’orgueil paternel… Quelle tristesse ! Pas une plainte, pas une révolte ! La pauvre femme, habituée de tout temps aux résignations, aux rêves refoulés, malgré tout ce que j’ai fait, persiste à croire en ma honte, elle me croit bon !… J’avais beau faire des dénégations de tête, elle presque souriait dans sa détresse, répétait obstinément : « Vous avez été bon, vous avez fait tout ce que vous avez pu ! » Et elle le pense peut-être ! Malheureuse qui, en elle-même, accuse