Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/33

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BIANCA.

J’ai défendu du mieux que j’ai pu ce qui restait de notre pauvre pécule. Je me suis trompée en voulant le faire fructifier, voilà tout.

JESSIE, (avec un geste comique.)

Voilà tout ! Mais tu as été une mère parfaite… Toi, une femme élégante, une femme dont le luxe, dans notre monde, hélas ! appelé demi-monde, a été célèbre, il a fallu que tu descendes à mettre la main à la pâte. Tu as même fait la cuisine pendant tout un été pour supprimer des gages, et ce n’est pas drôle, pauvre Blan-Blan, de faire la cuisine, d’éplucher des carottes et des pommes de terre !… Je sais tout ce que je te dois. Mais vraiment, je ne peux plus ! Je ne peux plus m’accommoder d’une vie médiocre et qui, dans la gêne progressive, devient fastidieuse… (Elle se rapproche de sa mère, lui touche l’épaule et, d’une voix plus mélancolique.) Hein, maman, les avons-nous connues, les visites chez le couturier pour obtenir la robe à trois cents francs ! Ah ! les modèles de fin de saison au rabais… les papiers timbrés de la corsetière, les engueulades du proprio… les… Ouf !… Cinq ans de cette vie et de cette expérience-là… acculées que nous sommes maintenant à n’en jamais sortir… je ne peux plus !… J’ai vingt et un ans… je me suis gardée ! (Se reprenant.) Tu m’as gardée en vain pour le beau mariage… quelle drôle d’idée, d’ailleurs !… rien n’est venu, et combien de vingt-quatre heures se sont écoulées !

BIANCA.

Tu aurais pu tout de même épouser Lalulier.

JESSIE.

Mais non, mais non, je ne pouvais pas épouser