Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/16

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va de soi. Le langage indirect est celui dont le sens n’est pas celui même de l’expression employée, mais celui qui voile ou révèle le sentiment intérieur. C’est notre langage dans la vie le plus usuel, celui qui communique à nos paroles ce pouvoir particulier parfois si émouvant, si nuancé. Un personnage du Masque en donne, sans le vouloir, la définition : « Que dire après : je vous aime ? Tout est dit ! Non ; ce qui est varié et profond, c’est ce qu’on ne dit pas, c’est l’insignifiance des paroles auxquelles nous faisons porter tout notre pauvre petit infini… Tenez, vous êtes là, vous pianotez deux mesures de piano et personne au monde ne peut savoir ce que je mets d’amour dans ces deux mesures… Comme c’est vous cet air-là !… Et c’est la vie qu’on puisse entrer dans un salon et y entendre dire : — « Voulez-vous du café ? » sans se douter que ce « voulez-vous du café » veut peut-être dire des choses charmantes ou infinies !

Le langage direct était le langage presque unique du théâtre primitif (et par théâtre primitif il faut entendre depuis Sophocle jusqu’au seizième siècle inclus). Shakespeare seul s’y dérobe et encore le trouvons-nous chez lui dans sa formule la plus schématique : le monologue. Le langage indirect n’aurait sans doute pas été perceptible au public des temps anciens. Notre public à nous, qui se raffine sans s’en douter, est devenu déjà assez pénétrant pour en suivre les nuances, non point encore dans toute leur étendue et leur variété, mais du moins dans leur intérêt essentiel.

Le juste mélange de ces deux moyens d’expression formera donc la base même du théâtre et constituera un de ses progrès les plus certains. Ce n’est point que cette forme indirecte n’ait été souvent employée jus-