Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/169

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GENEVIÈVE.

Ça dépend… J’ai beaucoup réfléchi en votre absence… et jai senti, parfaitement senti, que je vous aimais… mais d’amour, d’amour.

FÉLIX.

Comme ça, subitement ?… Geneviève, ne plaisantez pas, je vous en supplie, ce ne sont point des facéties à faire… Mon bonheur est déjà très suffisant. Je m’en contente… Oui, vous m’aimez ?… mais d’une bonne grosse affection, avec deux grosses joues rebondies…

GENEVIÈVE.

Pas le moins du monde. C’est de l’amour, du vrai, quelque chose de nouveau, d’intime, de sensuel… j’en suis sûre… J’ai de la difficulté à vous le dire, un peu, mais je l’éprouve… Mon bon Félix, je vous aime… Voilà…

FÉLIX.

Pourquoi le dites-vous en pleurant ?

GENEVIÈVE.

Ne faites pas attention. C’est l’émotion… Je vous aime… Je m’habitue à le dire… En vérité j’ai la tête qui tourne un peu. Est-ce ce beau pays, l’effet d’un veuvage déjà ancien… dame, on est femme !… l’odeur de la mer, le parfum des œillets coupés… des tubéreuses… les tziganes… l’ensorcellement banal des lumières sur le fond bleu des vagues… mais je pensais avec hâte à votre retour. J’escomptais ce rapprochement… je rêvais des choses folles ? que sais-je ?… J’attachais une sorte d’importance superstitieuse à cette nuit de retour. Est-ce bête ?… Je suis troublée, heureuse, énervée…

FÉLIX.

Geneviève, est-ce possible ? Non, arrêtez-vous… vous voulez m’éprouver, vous moquer de moi… C’est encore du jésuitisme laïc, ça ?

GENEVIÈVE.

Quelle preuve faut-il vous donner ? Ma chambre sera ouverte, ce soir.