Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/59

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VOIRON, l’amenant face au public, sur le devant de la scène.

Il y a quelque chose qu’il faut que tu changes à tout prix… non, non, tu ne peux pas laisser ça… impossible…

ANDRÉ.

Quoi !

VOIRON, prenant le manuscrit au souffleur.

Tu me fais dire à la fin de ma déclaration une imbécillité… mais ça, ça te regarde ; c’est toi qui es l’auteur. Ce qui me regarde, moi, c’est le ton. Eh bien, voilà l’indication que tu as mise dans ton texte : Avec passion ; tu as marqué avec passion « Tes yeux, ta bouche, et surtout le plus exquis de tes charmes, ta bêtise !… » Eh bien ! jamais tu ne me feras dire ça… jamais le public ne comprendra !…

ANDRÉ.

Cependant l’intention…

VOIRON, l’interrompant.

Tes intentions ? Elles ne me regardent pas tes intentions. On ne peut pas dire ces choses-là avec passion. Tandis que… ainsi… après « tes yeux, ta bouche, et surtout le plus exquis de tes charmes », je me lève et avec mépris… comme ça… je laisse tomber… « ta bêtise ! » Alors, oui, comme ça le public comprend…

ANDRÉ.

Mais le public, cher monsieur, n’est pas une oie.

VOIRON.

Tais-toi, tu n’y connais rien… Le public est un idiot… C’est un fait connu, mon bon… ce n’est pas toi qui y changeras quelque chose. Personne ne peut savoir pourquoi, mais c’est comme ça… Si tu prends chacun en particulier, si tu causes avec des gens bien, dans un salon ou dans un café (Sourire de Demieulle.) — et ne souris pas ; je te prie de croire que j’ai fréquenté des gens qui te valaient, dans ma vie ! — ils comprennent, oui… mais sitôt qu’ils sont réunis dans une salle, là,