Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/73

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mise, et qui résume pour eux toute la vie extérieure… La femme alors devient une sorte de voyage, d’exode… Je l’aimerais celle-là, tiens, dix fois plus canaille encore pour tout ce qu’elle m’apporte de vie vraie… Les contemplatifs comme nous d’un travail ou d’une épouse trop à nous, ont besoin de ces sorties vitales, et justement je l’aime, elle, pour son histoire commune, son passé ; elle est un bain de réalité… Quand j’en aurai assez, soit, stop ! En attendant, voilà ce qui s’appelle aimer. Le reste, c’est affaire à charretiers.

FÉLIX.

Eh bien, qu’est-ce que tu vois en celle-ci, par exemple ? À quel voyage t’entraîne-t-elle ?

ANDRÉ.

Ah ! mon cher, je voudrais te faire comprendre cela avec des mots… Regarde-la, tiens…

(Geneviève Demieulle apparaît à un portant de droite. Elle est presque complètement cachée à André par le piano et le portant du jardin.)
GENEVIÈVE, bas à Bouyou.

Bonjour mademoiselle.

BOUYOU, se retournant.

Oh ! bonjour, madame… je ne vous voyais pas… Monsieur votre mari est là. Voulez-vous ma chaise ?

GENEVIÈVE.

Merci, merci.

(Elle se tasse timide dans un portant. — À ce moment, Valgy se laisse entraîner à la danse. Et elle la danse vraiment joyeuse et dépoitraillée. Le piano murmure.)
ANDRÉ, continuant, à Félix, sans avoir remarqué l’entrée de sa femme.

Oui, regarde… tiens, ces yeux, ces épaules, qui ont l’air de s’allumer et de crépiter seulement à la lumière du soir, du beau soir tumultueux des appartements… cette chair spéciale, prêtée, qui n’est pas à moi comme celle de ma femme… J’aspire avec elle la vie même